“Mas rapido por favor, rapido!” J’essaye de ne pas crier sur le chauffeur. De la banquette arrière, je pointe du doigt le voilier vert qui fonce au moteur vers la marina, à quelques mètres de la route où nous sommes, le long de la côte. Il faut qu’on arrive avant lui. Que je sois là quand Tortuga approchera, enfin, terre. Le conducteur me regarde en coin, offusqué de mon excitation. Je l’ai attrapé au vol, ce taxi, en sautant hors du bus qui me ramène d’Araucanie dans la capitale de la région des Lacs, Puerto Montt. Géraldine m’a écrit la veille et j’ai pris un billet pour partir avec le premier transport. Arrivée au terminal, je lui envoie un message pour savoir où ils en sont et elle me répond par une photo du ponton, juste devant eux. Une voiture, vite. Vite!
Taxi et voilier se suivent; ils seraient coude à coude sans l’étendue bleue qui les sépare. Tortuga est magnifique, vert sur les collines. Plus que quelques secondes, et la dernière étape australe du Bato A Film sera achevée.
Vite. Je fuse hors du véhicule, paye le chauffeur, récupère mon sac, le jette par terre et cours, cours jusqu’au bout d’un des pontons du port. Tortuga finit son tour de repérage et vise une place entre deux navires. Timothée, Lucile, Gilou et Thibault sont sur le pont, Géraldine à l’étrave. J’aurais voulu l’attendre, les cheveux au vent, une main sur la hanche pour lui lancer un “Hola Capitan, que tal?” avec un sourire en coin. J’arrive à bout de souffle et en sueur à sa hauteur et articule un pauvre “Capitaine!” entre deux hoquets. Elle regarde autour d’elle, étonnée, et pousse un cri à son tour lorsqu’elle m’aperçoit. “C’est le mauvais ponton, on va sur le suivant!”.
Nouvelle course. J’arrive devant Tortuga à l’instant où Gilou saute pour mettre la première amarre. Je souris à tout le monde, mais l’équipage est concentré et il y a comme un décalage, un silence. Cet instant que j’imaginais joyeux et vif est d’abord étrange, irréel. La fatigue est palpable chez mes camarades. Une lenteur. Ils sont épuisés.
La barbe de Gilou a tant poussé que je peux y plonger les doigts. “Pourtant Géraldine me l’a encore coupée hier” me dit-il. Je sers ma capitaine dans mes bras. Des petits pots d’herbes sauvages ont investi les bords de l’évier et la table du carré. Gilou me met une algue séchée dans la bouche: “on en mangeait tous les jours, dans la soupe, dans les omelettes, dans le riz…” Un thermos fait maison est apparue dans la cuisine: grosse bouteille de plastique recouverte d’aluminium, qui permet de garder l’eau chaude pendant quelques heures, limitant ainsi l’utilisation de la gazinière et de la bouilloire. Dessus quelqu’un a collé un petit post-il avec une tortue dessinée. C’est la version 1.3 de ce thermos de fortune. Je le soulève et ça me frappe soudain. Ils se sont rationnés en nourriture, en eau et en gaz. Ils ont eu faim.
Je ne sais pas quoi répondre et fais mine d’apprécier l’algue.
Alors qu’ils préparent leurs sacs, j’observe à quel point ils ont le teint pâle. Quatre jours de soleil sur presqu’un mois de traversée me précisera Lucile. Leurs gestes sont calmes, presqu’endormis. Comme s’ils devaient s’extraire d’un espace, d’un temps où ils ont trop vécu pour reprendre le rythme de la ville. Je me retiens de les questionner. Bientôt nous serons attablés devant leur premier vrai repas depuis des jours, et alors je pourrais peut-être savoir, deviner.
L’un après l’autre, ils attrapent leur veste, descendent du navire et, sans un regard pour la tortue, sans un mot pour la mer, parcourent la distance qui les séparent de la rive.
Ils mettent pied à terre. Nous sommes le 16 décembre, et cela fait plus de trois semaines que le bateau s’était enfoncé dans les eaux de Magellan. La plus longue traversée du périple, plus longue encore que la Transatlantique. Une vraie prouesse. Et l’étape la plus difficile.
Gilou prend l’avion le soir même, Timothée et Lucile le lendemain. A peine une après-midi pour recueillir leurs témoignages, quand les meilleurs moments se donnent au compte-goutte de la mémoire, après décantation. Je chipe ce que je peux sur le vif, et m’appuie sur le journal de Géraldine, écris à destination de ses proches, pour retracer la trame de leurs pérégrinations.
Son récit, comme celui que partagent mes compagnons, semble fait essentiellement d’un aller-retour permanent entre le calme de l’attente dans les caletas, à l’abris du vent, et les moments en pleine mer dans les canaux, sous les rafales. Un rythme épuisant, que j’ai eu la chance de peu connaitre grâce au climat exceptionnel que nous avions connu lors de notre première traversée en Terre de Feu. Ma capitaine a eu le temps de comprendre ensuite que le soleil et l’absence de vent quasi-constants que nous avions eu à cette époque n’étaient pas communs dans cette région. Un coup de chance. Elle a dû découvrir ce que pouvait être le Sud et la zone des cinquantièmes hurlants.
Tortuga a vogué de tempête en tempête. Partie de Punta Arenas aux environs du 20 novembre, elle ne sortira du Détroit de Magellan que le 3 décembre, alors que la date d’arrivée prévue à Puerto Montt était fixée au 6. Le passage de ce Détroit est si long et si difficile, que l’équipage en est réduit à tirer des bords au moteur, avançant contre le vent et malgré les vagues. Il pleut presque chaque jour, et il n’est pas toujours possible de mettre pied à terre dans les criques où le navire trouve refuge.
Un jour où l’amarrage ne comporte que l’ancre et une seule aussière, attachée à un arbre, le vent tourne et vient faire s’échouer le bateau contre la roche, selon un axe de rotation imprévu. L’équipage parvient à remonter l’ancre, qui a dérapé sous la pression, et à lâcher l’aussière avant qu’il n’y ait de dommage sur la chaise de safran qui a frappé le bord. Un coup d’angoisse pour les équipiers, mais Géraldine ne semble pas inquiète. “Toujours mettre deux aussières, c’est la loi!” me répète-t-elle en riant. La rive était loin dans ce refuge, ils ont testé autre chose et ont vécu de quoi se souvenir de ce qui fonctionne ou non. Pour ça qu’on voyage, aussi.
Suite à cet événement, un quart de mouillage est instauré (“celui où on reste au sec” plaisantera Gilou). Un équipier est chargé de surveiller le navire alors qu’il n’est pas en navigation, notamment à cause de la force des williwaws, ces vents blancs que Géraldine décrit comme des “tornades d’écume et de pluie” qui s’élèvent au-dessus des eaux pour venir frapper la coque à répétition et disparaitre ensuite.
J’aurais aimé les voir, ces vents-là, faits de la rencontre entre la froideur des montagnes et le souffle vif des mers contenues par les rives. Un phénomène de violence pure, qui n’existe que dans l’extrême Sud. Nous les avions senti parfois en Terre de Feu, mais jamais je n’ai eu la chance d’en voir un tel qu’eux le décrivent. Au point qu’il leur arrive de ne plus supporter de les regarder. Dos aux hublots ou nez en l’air. Au point qu’il leur faut trouver un moyen pour reprendre prise. C’est Lucile qui lance l’idée: puisqu’ils sont omniprésents, ces vents, ne manque plus que de les immortaliser. Timothée les enregistre au Tascam, pendant que chaque membre de l’équipage récite un texte qu’il aime, le souffle de ces tornades en arrière-fond. Ils les attendent, pour appuyer sur l’enregistreur. La poésie transforme et le vent, et l’équipage. L’attente devient poème.
Lorsque le navire s’engage pour sortir définitivement du Détroit, le temps est encore une fois à la tempête. Géraldine et ses équipiers ont décidé de ne rien lâcher, ils tirent des bords coûte que coûte. Le gasoil, les vivres, l’eau: tout a commencé à manquer. Avancer est une nécessité de premier ordre.
La trinquette explose. Je la verrais à Puerto Montt, couchée sur le ponton, sans pouvoir y croire. Elle est littéralement déchirée d’un bord à l’autre, comme si un disque l’avait traversée de part en part, laissant la toile pantelante et lugubre. Je n’imagine pas le bruit que cela a pu faire, une voile qui se fend de telle manière. L’impact d’une balle.
Yankee à poste, deux ris à la grand’voile, Tortuga commence enfin à s’extraire des eaux du Sud. Grâce à l’Iridium et à la mère de Géraldine qui nous transfert ses messages, le cri de joie retentit jusqu’à l’Est, jusqu’à Paris et Buenos Aires, partout où nos anciens équipiers et nos amis nous suivent. C’est un soulagement immense, et une grande fierté. La remontée débute et quatre jours plus tard, l’équipage du Bato A Film dit définitivement adieu aux cinquantièmes hurlants pour pénétrer de nouveau dans les quarantièmes rugissants, plus chauds et plus cléments, loin du Cap Horn et des mers serties de glace. Géraldine se réjouit en particulier de ne plus avoir à enfiler tant de couches, si pénibles à mettre lorsqu’on est en mer. “Avez-vous déjà essayé d’enfiler une salopette et des bottes, sans poser le pied par terre pour ne pas mouiller vos chaussettes, dans un espace de la taille d’une petite cabine de douche, qui penche de 20 à 30° et dans un mouvement irrégulier perpétuel?” écrira-t-elle dans son récit, trouvant les mots justes pour décrire cet exercice d’équilibriste que nous devions réaliser depuis plus de quatre mois. Enfin vivre sur le pont redevient possible.
C’est la sortie du Détroit, mais pas encore des canaux. Il faudra encore dix jours à l’équipage pour rejoindre Puerto Montt, et se ravitailler devient prioritaire. Heureusement Tortuga croise d’autres navires, des pêcheurs et des voyageurs au long cours, qui leur échangent de la farine, des fruits au sirop, des pommes, des oignons, du levain et même deux kilos de côtelettes contre des bouteilles de vin et de petits pots de dulce de leche. Les marins de cette région savent. Ils connaissent la mer et ont suivi les dernières météos. La solidarité prime, et la capitaine parvient à faire remplir plusieurs fois ses bidons d’essence avant d’atteindre enfin le petit village de Puerto Eden, plusieurs milles au Sud de l’île de Chiloé.
Parmi ces rencontres maritimes, celle d’un couple de Français, Ariel et Isabelle, semble avoir particulièrement marqué mes compagnons. Peut-être parce qu’Isabelle est la fille de Philippe Harlé, un des architectes navales les plus réputés du pays. Surtout, je crois, parce qu’Ariel et sa compagne vivent depuis deux ans dans les canaux, en autarcie. Des étoiles brillent dans les yeux de Gilou – “je reviendrai vivre ici”. C’est eux qui leur ont appris à reconnaitre et à ramasser l’apio, une sorte de céleri sauvage que je soupçonne d’habiter un des pots près de l’évier.
Eux aussi qui leur raconteront que les deux dernières descendantes du peuple des Kaweskars vivent à Puerto Eden. Ils n’auront pas le temps d’aller les saluer lors de leur escale de vingt quatre heures dans ce village de quarante maisons, mais Géraldine croisera par hasard les yeux noirs d’une de leurs petites-filles. Voici comment elle décrit cette rencontre, alors qu’elle et Gilou attendent de pouvoir récupérer de l’essence : “Nous sommes déposés avec nos bidons sur une petite côte rocheuse où nous attend une femme en poncho de pluie. Elle nous emmène vers sa maison où nous attendons le retour de notre vendeur de gasoil sans trop savoir ce qui se passe. Elle nous offre le petit déjeuner, thé, café, mate, petits pains faits par ses soins. Il fait bon dans cette petite maison de bois, le poêle chauffe doucement. Trois petites filles dans des lits superposés peinent à se réveiller. Il est 10h30, un samedi, il pleut des cordes. Je les comprends ! La plus jeune, la petite Rosita, finira par passer son nez timidement et nous saluer. Elle ressemble à ses parents, le teint très mat, les cheveux lisses et noirs, les yeux en amande avec de longs cils noirs. L’arrière petite fille de Gabriela, une descendante kaweskar.”
Gabriela Paterito, c’est la femme au ton fier qu’interviewe Patricio Guzman dans son documentaire Le Bouton de nacre, film construit en résonnances qui évoque à la fois l’eau comme élément unissant la Terre et l’univers, le rapport particulier qu’entretient le Chili à l’océan Pacifique, la transformation de cet océan en cimetière lors de la dictature de Pinochet et le génocide des peuples nomades par les colons européens ayant suivi la voie ouverte par les cartes de Fitz Roy. Une œuvre qui me rendra jalouse car Guzman a le matériel pour filmer la pluie dans les canaux, alors que je ne pourrai que graver le soleil.
Assis face à elle, le cinéaste demande à Gabriela, dame âgée aux cheveux gris et aux yeux noirs, petit pull de laine, de répéter en langue kaweskar des mots tels que « tourmente », « océan », « plage », « canoë ». « Dieu » et « police », à quoi elle répondra qu’ils n’existent pas, qu’ils n’ont « jamais eu besoin de ça ». Lorsqu’elle était enfant, cette Kaweskar a navigué en canoë à travers le Sud, pendant des années, entre Punta Arenas et le Golf des Peines. La pagaie entre les mains, un feu entre elle et sa mère. Un voyage de plus de 1000 km.
Aujourd’hui l’armée chilienne interdit des embarcations si précaires de se déplacer sur les eaux, sous prétexte de protéger les navigateurs. Ce qui a pour résultat de tuer, purement, une certaine façon de vivre et d’appréhender la terre, la mer. Guzman dira que les Chiliens n’ont plus « d’intimité » avec l’océan. Pourtant le Chili est une île, isolé de toutes parts par des déserts de sable et de glace, une chaine de montagnes. Une des frontières marines les plus longues qu’un pays possède.
Le voyage de Gabriela s’est arrêté à Puerto Eden. Un lieu où la végétation est si luxuriante et humide qu’il n’y a ni route ni véhicule, seulement des passerelles de bois qui laissent passer l’herbe. Le seul contact extérieur est le passage deux fois par semaine d’un ferry reliant Chiloé et Puerto Natales, et les quelques visites administratives que les habitants doivent faire à Natales ou Punta Arenas. La mère de Rosita expliquera à Géraldine que, venus d’Araucanie, elle et sa famille vivent ici depuis quatorze ans, et qu’ils s’y sentent bien. Lorsqu’ils vont en ville, ils n’attendent que de revenir.
Peut-être que le vrai bout du monde est dans les quarantièmes, finalement. Plus perdu que Puerto Williams. Moins visité que le Cap Horn.
Le prix des courses et du gasoil est au-dessus de tout, mais Géraldine et ses équipiers repartent plus sereins pour la suite du voyage. La carte peut continuer d’égrener les noms inhospitaliers des étapes à suivre, de l’île de la Désolation au Golfe des Peines en passant par la Baie inutile et le Cap Angoisse… Il y a des poèmes géographes plus plaisants que d’autres. Il y a aussi quelque chose d’extraordinaire à traverser un monde qui est écrit comme un conte. Même si c’est un conte pour faire peur, souvent, et dont les illustrations sont essentiellement en noir et blanc.
Géraldine et le Bato A Film sont là pour mettre de la couleur. La capitaine et son équipage profitent de ce temps devenu infini, sans limite sûre, pour réaliser ce que je crois bien être le seul court-métrage d’animation entièrement dessiné et monté en mer. D’après un scénario inspiré de la fiction écrite en Terre de Feu naissent des fonds aux pastels, des personnages à l’aquarelle. Un petit phoque à la fourrure scintillante. Un canoë en noir et blanc.
Ce sera un vrai cadeau pour moi de découvrir ce film à Puerto Montt, sans en avoir suivi les étapes. Le texte que j’avais rédigé suite à mes échanges avec Gilou sur ce sentiment que nous avions d’être en haut du monde vient de prendre vie. Plusieurs traits de l’histoire ont été modifiés, supprimés ou raccourcis, et le résultat final est un délice. Cette résidence volante, aussi improvisée et franco-française soit-elle, est une réussite. La violence du Sud et les mésaventures de Punta Arenas ne nous auront finalement volé qu’un seul film, quel bonheur. Celui-ci a pour avantage d’être très uni graphiquement, du fait du petit nombre d’artistes, et d’avoir une narration très claire grâce au procédé de la voix-off que nous avions décidé de tester pour la première fois, malgré notre défiance pour cette technique. Lucile raconte l’aventure au fur et à mesure que les plans s’enchainent, parfois en panneaux fixes, parfois avec du mouvement. Il y a des mois de cela, Jérémy nous avait suggéré de nous inspirer de l’ouverture du film d’Orson Welles Le Procès, faite avec des dessins qui défilent sous forme d’images fixes pendant qu’une voix-off raconte une courte histoire. Géraldine a profité de cette résidence hors-norme pour s’essayer à cette démarche, et le récit fonctionne parfaitement. D’une durée de six minutes, c’est le plus long film d’animation que nous ayons réalisé, et celui qui aujourd’hui a ma préférence.
Le 12 décembre, Tortuga rejoint les eaux pleines du Pacifique. Géraldine écrit un paragraphe dans son journal qu’elle titre Plénitude. Il ne pleut pas. Les rives se sont ouvertes, le soleil emplit l’horizon. L’équipage sort de la moiteur de l’habitacle pour sécher enfin sur le pont. Ils sont exactement à la latitude inversée de La Rochelle. Plus que quelques jours, et ils toucheront terre. Pour Géraldine, ça sera le premier repos terrestre depuis Buenos Aires. Entre temps il n’y a eu qu’ancre, annexe et kayak. Pneus et explosion du liston. Je ne crois pas qu’aucun de nous ne mesure vraiment la résistance dont notre chef de bord fait preuve. Parfois ses nerfs lâchent, et elle pleure. Mais elle tient bon, et nous mène toujours.
La marina de Puerto Montt a heureusement tout ce qu’il faut: électricité, douche chaude, wifi, gasoil et gaz. Il faut encore réparer la trinquette et le moteur, qui a pris un coup de vieux dans les remous des canaux, mais nous gardons notre bonne étoile et les gardiens du port nous mettent en contact avec les professionnels adéquats.
Après deux jours de grisaille, il fait un soleil radieux sur la capitale de la région des Lacs. Alors que les nuages s’éloignent, nous regardons enfin le paysage qui nous entoure et découvrons une baie verdoyante, d’un grand charme. Je l’admire en fond car ce que je regarde en premier plan, ce sont les énormes lions de mer qui ont élu domicile sur nos pontons. Je l’ignorais alors, mais j’avais bien failli me prendre les pieds dans leurs pattes lors de ma course après Tortuga le jour de nos retrouvailles. Ils font la sieste au pied des bateaux, entre les aussières, sur les annexes et jusque dans les jupes des yachts. Les mâles ont une crinière orange et un museau vraiment semblable à celui d’un félin. De vrais lions, avec nageoires et rugissements marins.
Je me réveille à leurs bruits. Ils sont ce que j’admire le matin, et ce que je crains le soir. On avance à la lampe torche, qu’il n’y en est pas un sur le chemin ou sur notre échelle. On la pousse loin du pont chaque nuit, qu’ils ne puissent se glisser dans notre cockpit et nous surprendre le lendemain. Leurs femelles sont plus craintives, et leurs petits difficiles à voir. On les aperçoit tout de même parfois, et nous vivons ainsi, à terre, sur mer, les pieds sur du bois qui flotte et craque sous le poids des animaux marins.
Entre les lions. Ceux qui font la sieste au soleil, et ceux qui traversent les eaux du Sud malgré la faim, malgré le vent. Crinière flamboyante, ou invisible. Toujours un pied dans l’eau, où qu’ils soient.
Le temps à terre n’est qu’un repos.