Ibera

Elle s’enfonce, eau verte du marécage. Avance une lame entre les dents. L’eau aux épaules, seins couverts, humides, cheveux.

Noirs et longs, ne flottent pas derrière elle, coulent, s’immergent.

Elle s’avance jusqu’au premier arbre, enlacé par les branches souples et noueuses, des lianes de bois. Elle s’accroche aux racines, se tire un instant hors de l’océan noir.

Terre liquide.

D’un coup ferme, ouvre l’écorce au couteau comme au piolet. L’eau claire jaillit. Elle la récupère dans une bouteille en plastique tenue à sa ceinture. Une gorgée à peine, une nage pour quelques secondes puis une autre encore.

De tronc en tronc, elle perce et récupère le fluide avant de panser la blessure avec des feuilles humides, de la mousse qu’elle mâche d’abord.

Elle applique le cataplasme à l’écorce coupée et récidive.

Se repose.

A ses pieds, trois bouteille pleines. Son corps allongé sur celui, immense, d’un arbre mort déjà. Il s’est enroulé dans la terre, de toute part.

S’enterre, avant que de devenir cendre.

Les bras ouverts, elle dort, au souffle du vent. La brise passe et dansent les mèches ; feuillages.

Les pieds qui flottent.

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Il pousse une barque, d’un bâton de bois. Habillé d’une marinière, rayures rouges, blanc pâle. On le repère, ici, à des mètres, des hectares. Traits vifs entre les verticales grises, les lianes sinueuses, vertes silencieuses.

Il a peur.

Ça se voit sur son visage, ce fini des paupières qui vacille.

Les plis, des yeux, serrés, éclatent.

Il regarde la forêt avec le mouvement des vagues. Vient de trop loin. L’océan suit le sillage d’une barque perdue en marécages.

Elle l’observe.

 

Il pose pied à terre, terre liquide, accostage. Attache le bois de l’embarcation à l’écorce vive. Le feuillage. Ce bruissement des arbres quand la brume monte. Vert noir, le paysage fond.

Ses pas ne résonnent pas.

Absorbe le sol, le frottement des doigts. Il s’accroche, se tient aux lianes qui n’en sont pas, cassent, s’évaporent.

Mauvais souvenirs.

Tremble la peur et tremblent les mains. Il s’éloigne et elle le suit. Deux verticales, entre les lignes, tracent sans langage un sentier nouveau.

Qu’il aille, plus loin encore, l’horizon des eaux noires, où se meurt la mer.

Sa présence à elle, décisive, ne dit rien. Il avance. Elle suit. Se regardent, se savent. A distance.

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La nuit vient. La barque est ailleurs, il tâtonne, cherche, rebrousse poil sur le chemin qui s’évapore, crie presque, la voix manque.

Elle est calme. La lame, à la ceinture, entre les dents, pour l’eau claire et ce qui bat. Passe d’un corps à l’autre, cette chaleur infinie d’une fin prochaine.

Que la nuit vienne. Il la cherche. L’appelle d’une voix nouvelle.

La mer.

 

Furtive, au fond d’une ouverture, entre lianes et feuillage, cette femme humide. Il s’approche, s’apprivoise, supplie. Avance encore, et rejoins mes pas.

Il y eut une femme, il y a un arbre. Qui n’est pas encore cendre. Entortillé dans la terre. Ce qui est pour elle un réconfort, son salut. Tout pour un mirage.

Il pose sa main sur l’écorce vive. La peur bat mais ne frappe plus. Le sang a ralenti.

Il est tout proche maintenant. La cherche encore des yeux mais la sent dans sa paume.

Il tend sa joue. Il tend son oreille. Etreint le tronc de l’ouïe du silence.

Il écoute.

Le bruit des vagues.

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La mer, en forêt vierge, habite.

Partage.

Le souffle des marécages.

Et celui du vent.

L’océan.

Entre terre et liquide.

Humide, et sans mouvement.

Une feuille tombe.