Un peu de poésie
Pablo Neruda (1904-1973)
Chant Général, séquence X, « Le Fugitif », extraits
V
Toute la cordillère de la côte,
la frange déployée en direction du Pacifique,
puis au milieu des rues tortueuses,
ruelle et venelle : Valparaiso.
[…]
VI
[…]
En d’autres temps, heure lointaine,
il y avait, peuplant ta mer, Valparaiso,
les sveltes bateaux de l’orgueil,
les cinq-mâts au blé murmurant,
ceux qui dispersaient ton salpêtre,
ceux qui, des océans nuptiaux,
venaient vers toi garnir tes docks.
Voiliers géants du jour marin,
croisés du commerce, étendards
par la nuit marine gonflés,
avec vous l’ébène et la pure
clarté de l’ivoire, l’arôme du café
et celui de la nuit parée d’une autre lune,
venaient, Valparaiso, à ta paix dangereuse
t’enrobant alors de parfum…
[…]
VIII
J’aime, Valparaiso, tout ce que tu renfermes
ou que tu irradies, ô fiancée de l’océan,
hors de ton nimbe sourd et bien loin au-delà.
J’aime ta lumière si crue quand tu accours
au devant du marin dans la nuit de la mer :
tu es alors – rose aux pétales d’oranger –
radieuse nudité, tu es feu et brouillard.
[…]
Reine de toutes les côtes du monde,
authentique centrale de vagues et de bateaux,
tu es en moi comme la lune ou comme
la direction du vent au sein de la forêt.
J’aime tes ruelles criminelles,
ta lune de poignard au-dessus des coteaux,
et d’une place à l’autre tes marins
habillant de bleu le printemps.
Qu’on sache, port, mon port, écoute-moi,
que j’ai le droit
de t’écrire au sujet du meilleur et du pire,
moi qui ressemble à ces lampes amères
éclairant les tessons des bouteilles brisées.
XIX
J’ai parcouru les mers insignes,
l’étamine nuptiale de toutes les îles,
je suis le plus marin des marins du papier
et j’ai vogué, vogué, vogué
jusqu’aux limites de l’écume,
mais ton amour marin, ton amour pénétrant
plus qu’aucun autre amour en mon cœur s’est gravé.
Tu es la tête montagneuse,
la tête capitale du grand océan.
Un peu d’histoire
Vallée de paradis, c’est le nom de cette ville : Valparaiso.
Paradis des couleurs et des lumières, tout en pentes et en funiculaires – les ascensores – pour passer d’une colline à l’autre.
Amateurs de grimpette, cet endroit est fait pour vous !
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Valparaiso est le carrefour international de commerce le plus important de la côte Ouest de l’Amérique du Sud. Ce port servait d’escale aux marins qui voyageaient entre l’Atlantique et le Pacifique par le détroit de Magellan, chargés de précieuses marchandises exotiques.
La ville attire de nombreux immigrants européens durant cet âge d’or.
Nous empruntons les mots du Chant Général de Pablo Neruda, poète chilien ayant vécu à Valparaiso, pour décrire ce lieu cher à son cœur.
Peuplée d’environ 250 000 habitants aujourd’hui, cette ville d’origine coloniale a été fondée au milieu du XVIe siècle.
Cité ébranlée, comme tout le Chili, par son histoire politique mais aussi géologique, puisqu’elle subit régulièrement des tremblements de terre (dernier séisme marquant en septembre 2015), la ville est en mouvement permanent.
« Reine esseulée », « fiancée de l’océan », la cité s’apparente à un grand amphithéâtre tourné vers le Pacifique, qu’elle surplombe de toute sa hauteur.
Sa géographie particulière, alliée aux multiples influences qui l’ont façonnée, font de Valparaiso une étonnante ville, marquée par la modernité du XIXe siècle mais aussi par les évolutions plus récentes de son architecture.
Cet endroit, poétique entre tous, a inspiré Géraldine dans son premier court-métrage d’animation, Ventana de Papel.