Le départ
Au revoir in extremis, amarres largués !
C’est au matin du 29 mai 2017, non sans émotions, que nous avons largué les amarres du ponton d’honneur de La Rochelle, accompagnés par une quarantaine de personnes, amis, familles, futurs équipiers etc. qui nous envoyaient tous leurs voeux de réussite, beau temps, bons vents, bonne mer pour le début de notre aventure…
Pour cette première étape qui allait nous mener jusqu’aux Canaries (Espagne), nous étions six à bord : Thibault, copropriétaire, second, et chef mécanicien, Charlotte, notre reporter embarquée, Violaine, équipière et spécialiste du stop-motion, Alejandro, équipier chilien et sculpteur, Andres, équipier espagnol et spécialiste des films d’animation, et moi, Géraldine, en tant que capitaine.
Après une courte escale à l’Île de Ré pour mettre les derniers boulons manquants par-ci par-là, nous avons traversé le Golfe de Gascogne, quittant ainsi la France pour de longs mois.
La vie en mer
La vie du bord s’articulait en un rythme très réglé, et qui pourtant nous faisait perdre tout repère temporel.
L’équipage, généralement composé de cinq personnes, se relayait selon le tableau de quart : 2h de barre à diriger le bateau, 6h de repos, et 2h de “réveillable” si le barreur avait besoin d’aide, et ceux, 24h sur 24h. En journée, le quart de “réveillable” se transformait en quart de cuisine, de vaisselle ou de rangement/nettoyage.
Notre petite communauté avait donc sa propre semaine de cinq jours, avec un “dimanche” jour où il n’y avait pour lui ni vaisselle, ni repas, ni ménage à effectuer.
Le quart de cuisine était l’occasion d’expériences culinaires, et nous avons globalement toujours très bien mangé. Nous disposions d’un four et de deux feux, d’un frigo, d’un hachoir et d’un batteur à oeuf manuels, d’un germoir, et de beaucoup d’imagination, qui nous ont permis d’obtenir des menus plus que variés, parfois inspirés des traditions locales ! hamburger vegan, pizzas, gateaux, quiches, tartes, gratins, ratatouilles, sushis, ceviche et j’en passe…
A la barre, il fallait garder le cap du bateau, éviter les autres navires, surveiller les voiles, les régler, éventuellement les remplacer si le vent changeait… globalement, faire “la veille” sans relâche, pour assurer la sécurité du bateau en chaque instant.
Les nouveaux matelots prenaient vite le pas, d’abord en binôme avec la capitaine ou le second, puis tous seuls, avec le droit et le devoir de réveiller la capitaine en cas de doute.
Après quelques jours d’amarinage pour l’ensemble de l’équipage, nous commencions le montage du film réalisé pendant la résidence artistique précédente (voir paragraphe “les résidences”!). Armés de deux MacBook Pro de montage scratchés à la table (qui soit dit en passant ont très bien supporté la mer pendant 15 mois), nous découpions les images pour donner vie au conte imaginé à terre. Plus l’on avançait, et plus on avait envie d’avancé. Parfois la nuit était bien entamée, mais brillait toujours dans le carré l’écran d’un ordinateur.
L’étape s’achevait par le montage du son, et nous pouvions ainsi projeter le film à l’escale suivante.
Journée peinture en navigation pour compléter le film du Cap-Vert
Bonne brise entre les Açores et la France, nous filons sous yankee, trinquette et GV
Parfois tranquille, parfois en furie, la mer donnait à chaque journée sa ration d’aventure, loin de la vie quotidienne. Nous avons affronté des tempêtes, et de longs jours sans vent. Nous avons portés bonnets et chaussettes de ski, et parfois même le maillot de bain semblait de trop. Selon les étapes, thé brulant et bouillotte, ou baignade par 4000m de fond étaient notre récompense de la journée.
A certaines étapes, il fallait luter contre l’humidité. La loi à bord, c’est qu’une fois mouillé, ça ne sèche plus jamais… les chaussettes qui trainent finissent sur le sol trempé, les affaires posées sur le fil à linge en vrac gouttent sur les autres… le mot d’ordre, c’est discipline pour s’en sortir au sec !
Le séchage après 10 jours de pluie sans cesse (Magellan)
Et il faut bien avouer que tout aussi cher que l’on ait pu payer notre équipement… la pluie en vient toujours à bout ! et comme les vêtements secs sont une denrée rare, c’est la créativité qui nous a parfois sauvée… sacs poubelles autour des bras, fils à linge de petites culottes et chaussettes dans la cale moteur, bouillotte improvisées de bouteilles plastiques remplies d’eau chaude dans les duvets pour faire fuir l’humidité, et surtout, le célèbre “sèche-cheveux” fabriqué avec un extracteur d’air, une gaine de ventilation le tout connecté au four d’un côté, et au 12V de l’autre, tout était bon à prendre !
Pour compenser, la pêche nous permettait parfois de faire des festins dignes des plus grands restaurants gastronomiques !
Le troc avec les pêcheurs, ou simplement les amitiés marines nous ont aussi souvent nourrit.
La pêche et le troc avec les pêcheurs dans Magellan : délicieuses araignées de mer (encore vivantes…!)
A la table à carte, surveillant la navigation.
Les arrivées à terre
Les arrivées étaient toujours un moment intense ! entre émotions de la découverte d’un nouvel endroit, palpitations des manoeuvres en bateau en terrain inconnu, retrouvailles avec la terre ferme, ses humains, ses réseaux de communication, et l’administratif, nous étions souvent un peu sonnés !
Nous avons eu la chance d’admirer des paysages aussi divers que magnifiques.
Arrivée à Puerto Williams (Chili)
Entrée dans la rivière de Santiago (Cuba)
Les douanes, capitaineries, et autres institutions étaient une véritable aventure administrative ! A chaque arrivée, il fallait comprendre quelles étaient les démarches spécifiques au pays, quels allaient être les diplômes à fournir, les listes à remplir, les attestations sur l’honneur à signer, voire parfois les mensonges à inventer… le tout en portugais ou en espagnol, parfois face à des fonctionnaires au moins aussi peu au courant que nous de la marche à suivre !
Les mouillages forains
Les ports tels que nous les connaissons en France sont loin d’être monnaie courrante une fois sortis d’Europe. Parfois, il nous fallait trouver une crique protégée, jeter l’ancre, et aller à terre sur notre petite annexe gonflable, en espérant que le bateau ne s’échapperait pas tout seul, ni un peu aidé…
Sur l’ile de São Nicolau (Cap Vert)
Dans une crique perdue du Canal de Beagle (Chili)
A certains endroits, comme les canaux patagons, il nous fallait même nous amarrer à des arbres !
Au pied d’un glacier, Caleta Beaulieu (Chili)
Les résidences artistiques
A chaque étape, nous avions 5 jours de travail programmés. Reçus dans un musée, une école, un centre culturel ou une association, nous réalisions un court-métrage d’animation pour parler du patrimoine local, sous la forme d’un conte.
Après une première journée rencontre, présentation de chacun et du scénario, une adaptation et la réalisation d’un storyboard, nous consacrions 4 jours à la production d’images et de sons indispensables à la création de notre film.
Peinture, maquettes, dessin, photo, prise de sons, composition de musique peuplaient les journées bien remplies, propices tant à la création artistique qu’à la création de liens entre les différents intervenants. C’était souvent des amitiés qui naissaient, et de nouveaux projets de collaboration qui se profilaient.
Première journée de résidence artistique à Salinas (Equateur)
Clap de fin pour la résidence de Salinas
Les navigations avec les artistes
Avec les artistes cap-verdiens
Si la navigation reste accessible pour les français, c’est loin d’être le cas pour le reste du monde.
Faire découvrir la navigation à nos artistes locaux était une vraie joie, et une manière à nous de montrer que ce n’était pas nécessairement une activité réservée à une élite richissime. Nous organisions donc dans la mesure du possible une navigation de quelques heures, ou au minimum une visite de notre navire, pour leur partager un peu notre vie à bord.
Et bien sûr, lorsque nous avions encore de la place à bord – un cota était prévu lorsque les difficultés nautiques étaient raisonnables – nous embarquions un équipier de plus jusqu’à l’étape suivante, pour une vraie découverte de la navigation pendant plusieurs jours !
Les rencontres marines
Le voyage en bateau est peuplé de rencontres de tout type. Parmi elles, les animaux marins ont la part belle.
Les tortues de mer, si majestueuses, vieilles comme la terre et pourtant si fragiles. Celle-ci nous a accompagné pendant une demi-heure et nous avons nagé avec elle, sous notre grosse tortue à nous (Tortuga), au milieu de l’océan, à 300 km de la côte équatorienne. Elle avait des algues et crustacés sur le dos, et des petits poissons qui ne quittaient pas son ombre. Un petit écosystème nageant.
Nous en croiserons certaines moins chanceuses, en très mauvaise santé, au milieu des zones de regroupement de déchets (majoritairement plastiques et bois), appelées zone de Gyre.
Les lions de mer, si tranquilles et sympathiques dans l’eau, et dont il faut tellement se méfier à terre ! A certains endroits (Puerto Montt par exemple), ils s’installent sur les jupes des bateaux, voire même dans le cockpit !
Ils peuplent les côtes depuis la Patagonie argentine jusqu’aux Galapagos, et nous les verrons donc pendant sept mois, nageant même parfois avec eux.
Les baleines ! La première que nous avons vu nous a salué de sa queue quelques heures avant la fin de notre transatlantique aller, au large de Recife (Brésil). Elles seront souvent nos compagnes géantes, tantôt seules, tantôt en groupe, toujours monumentales, parfois impressionnantes voire inquiétantes. C’est à Ponta Baleia (Pointe Baleine) au Brésil, que nous en croiserons les premiers grands groupes, puis à Puerto Madryn, leur havre de paix.
A notre retour, entre les Açores et la France, nous aurons le malheur et la tristesse d’en percuter une de notre quille, en pleine mer.
Le retour
Le 28 mai 2018, exactement un an après avoir largué les amarres de La Rochelle, nous terminions notre dernière résidence artistique à Santiago de Cuba. Cette date annonçait officiellement notre retour vers la France.
Mais avant d’être de retour à La Rochelle, la transatlantique nord se profilait ! De Cuba jusqu’à la France, une navigation d’environ 5000Mn nous attendait, nous faisant passer par Les Bermudes et son mythique Triangle, les Açores et leurs mille hortensias, et un petit passage à l’Ile de Ré pour amortir l’arrivée, avant d’être accueilli au pied des tours de La Rochelle par une centaine de personnes.
15 mois, 21.000 Milles nautiques, 48 équipiers, 120 participants, 3 continents et 12 pays plus tard, nous passions sous le pont levant du Bassin des Chalutiers, sous les applaudissements émouvants des amis, familles, anciens équipiers, partenaires et touristes passants par là !