Mindelo

Julie a tout organisé. La participation des artistes cap-verdiens, le lieu de la projection du court métrage de La Rochelle, celui qui va accueillir la résidence. Géraldine et moi arrivons pour la première fois déboussolées. Quelqu’un a tout pris en charge pour nous, vite et bien, et étrangement cela efface définitivement le mal que nous causait encore notre mésaventure sud-américaine. Un instant, et nous reprenons pied. Grâce à notre équipe sur place, et parce que l’accueil qu’on reçoit à Mindelo nous fait rentrer dans un pot de crème.

L’amitié arrive en fin de journée. Bob, Hermès et Albertino colorent notre brochette blancharde de différentes teintes de brun. On s’épie du coin des yeux, très noirs, et sourit. Bob a des dreads mêlées de fils d’or qui lui tombent jusqu’aux hanches. Il fait mine de ne pas trop s’intéresser au début, de protester. Qu’on s’apprivoise. Hermès est déjà là, présent, attentif. Il nous faudra plusieurs heures avant de deviner qu’il parle assez bien français pour qu’on ne soit pas obligé de s’adresser toujours à Bob. Une timidité discrète qui s’apaisera sans se dissiper, de ces gens qui marchent naturellement avec précaution.

Albertino, statue taillée dans la douceur, tendre et immuable, immense, lit le scénario en portugais au bout de la table. Nous sommes au Centre Culturel de Mindelo, ancien dépôt des douanes devenu espace ouvert, une cour aux portes larges où tout le monde peut passer, s’asseoir. Un lieu qui nous ressemble et qu’on adopte de suite. Quelques tableaux accrochés au mur, autour d’une sculpture d’un rhinocéros en fils de fer, aérien, incongru. Nous travaillons dans une petite salle tout en longueur. Je commence à filmer et me débat avec le soleil qui pénètre des deux côtés.

Hermès, debout à gauche, et Bob, assis, participent à une discussion animée sur la première version du storyboard, dessiné collectivement par les artistes

Hermès, debout à gauche, et Bob, assis, participent à une discussion animée sur la première version du storyboard, dessiné collectivement par les artistes

Notre film raconte l’histoire du Capitaine Ambrosio, un simple menuisier qui a mené le peuple à la révolte lors d’une des pires famines qu’ait connu l’île de Sao Vicente dans les années 30. Il vivait dans le quartier de Ribeira Bote, un lieu populaire que notre équipe s’en va visiter la vieille de la résidence, au cas où il aurait laissé quelques traces de pas ou une patate.

Laure, Clémence, Charlotte et Julie sont venues de France pour raconter une histoire qu’elles ne connaissent pas, qui, diraient d’autres, ne les concernent pas. Ça étonne les Cap-verdiens. Il y a un temps à montrer patte blanche, qui est pour moi celui du premier miracle de cinéma. Le récit est à tout le monde. Penchées sur la table, elles peignent et crayonnent pendant que Bob lit un chapitre dédié au héros national, jambes croisées. J’enregistre les sons, de sa voix, de ses mains, ses pieds sur le tamarin d’un jardin en ruines. Les chiens des chemins et le bruit de la mer sur le sable. Le vent, omniprésent, premier personnage. Les cheveux de Laure sur ses épaules, et le rire de Clémence. L’importance du son se voit à l’image.

L’Alliance Française nous prête l’espace de son café pour organiser notre toute première projection. Lorsque nous avons mis pieds à terre, nous avons découverts à la marina une affiche de notre événement, et ça continue de nous laisser coi. Orange et bleue, elle s’est répandue dans la ville et nous découvrons notre premier public. Des amis surtout, des familles, françaises et franco-cap-verdiennes, des locaux. Qui, là, est étranger ? On n’y pense pas. La frontière est ce qu’est la nuit au jour, et le cinéma notre lumière. On se croise devant un écran.

A l'Alliance Française, première projection publique du Bato A Film. (De gauche à droite: Bernard, Laure, Clémence, Géraldine, Thibault, Julie)

A l’Alliance Française, première projection publique du Bato A Film.
(De gauche à droite: Bernard, Laure, Clémence, Géraldine, Thibault, Julie)

Rencontre doublée par la mer. Géraldine détache une Tortuga remplie d’invités. Légère. Un tour de deux heures dans la baie, comme une signature. C’est un départ plein de rires qui fait miroir à celui, définitif, qui arrivera ensuite. Echange d’équipage. Echange d’embrassade. A bientôt et à jamais, le sel déjà sur les joues et le grand large. On emporte un film dans nos valises. Le montage commence et Bandeira Preta nait en transatlantique, entre deux continents.

L’océan et les images.

La lumière.

A bord de Tortuga, un équipage franco-cap-verdien

A bord de Tortuga, un équipage franco-cap-verdien

 

 

 

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