La première résidence du Bato A Film s’achève ce vendredi soir. Notre équipe trottine encore entre les deux étages du Yacht Club Classique, mettant de l’ordre entre les crayons et les palettes d’aquarelles, les sculptures de papier et les reproductions d’anciens navires. Une petite heure seulement avant que les marins du Yacht Club reprennent possession du lieu pour l’apéro hebdomadaire. On numérise dans un cagibi aux lumières chaudes ce qui a été créé ces cinq derniers jours. Bateaux et nuages de coton entre deux balayettes. L’atelier de stop-motion de Violaine, qui va embarquer avec nous jusqu’aux Canaries. Elle est de ces gens qui vous déstabilisent de gentillesse. Une sorte d’éclat à la place des yeux. Cheveux courts.
Anna et Hugo dessinent à l’étage, musique à fond. Lui sur tablette graphique, le port de commerce ou des soldats épée en main, elle des navires de toutes les époques, crayons pâles ou encre brune. Ça chante sur du latino et du Edith Piaf. Géraldine est en bout de table, près du mur où est accroché le storyboard du film que nous avons choisi de conter. Nous avions préparé pour ça des feuilles avec de grandes cases ; elle l’a dessiné à main levée, plans, cadrages, personnages et décors transcris en pattes de mouche efficaces. Pour la semaine, c’est notre bible.
Louisa et Isabeau sont dans la salle mitoyenne, plus calme, silencieuse. Penchée sur ses peintures d’eau marine, les cheveux de Louisa font office d’auréole dans la torpeur de ces après-midi trop chaudes. Nous déjeunons dans le jardin, entre les coquelicots, mais nous travaillons volets fermés. L’aquarelle sèche. Louisa regarde de ses yeux clairs les bleus mêlés des ciels et des océans qu’elle invente. Des fonds qui en promettent aux navires d’Anna.
Isabeau taille dans le plâtre et le papier arbres et ramettes. Nous sommes habités par la vision d’un hangar au port de commerce, un espace immense où s’empilent les paquets de papier, les « balles » dit-on, blanc sur blanc, sans un bruit. De tout ce qu’on veut dire, il y a peut-être d’abord cet instant-là. La pâte venue du Chili et du Brésil. Un petit pourcentage pour l’écriture, la majorité pour le reste. Violaine récupère des chutes, y grave des poèmes espagnols et les plie pour un faire des oiseaux qui s’envoleront à travers les ruelles de La Rochelle. Mélangeons discrètement magie poétique et commerce international. Petit pouvoir de pellicule.
J’entends encore le saxophone de Jérémy dans la cour. Hugo a tenté de tirer quelques notes, grand fil droit couronné de bouclettes. Un gars chouette. Didier Guerandelle, artiste peintre, a accepté de nous prêter l’espace de la petite chapelle où il expose pour enregistrer une musique. Jérémy joue pieds nus pendant que Géraldine filme et que je tiens le Tascam. Je me suis baladée dans les rues avec ce nouveau compagnon pour récupérer bruits de sonnettes, de vagues, de pas. C’est une grosse machine qui demande qu’on s’apprivoise. J’adapte.
Jérémy écoute les rushs et commente les textures, les tons, ce goût métallique que vous laissent certains crissements. L’écriture se tait pour quelques jours, que la trame son d’un film puisse se construire. Voyage multiple.
Deux nuits encore avant de revenir à la mer. La blanche Rochelle a occupé tout notre espace, et si j’ai hâte de voir notre film, je rêve d’un retour en pays Tortuga. C’est une chose qui vous prend vite ça, l’amour de la mer, le besoin d’être au large. On emportera nos images et nos sons comme des pirates. Butin chèrement gagné qu’on va monter en château 25 images/secondes.
Raconter des histoires et larguer les amarres : joli rythme de passage. On a eu du mal à le prendre les premiers jours, notre premier court métrage ne durera pas 10, ni 8, ni 5 minutes, mais 3. Géraldine et moi apprenons de nouvelles ficelles, aidées par Nikki, curatrice parisienne qui a coordonné l’organisation de cette première tentative, et d’autres bonnes étoiles.
Spéciale dédicace à l’association du Fonds Artistique de Recherche, où j’ai rencontré une Emma pétillante qui s’émerveille sans faiblir devant toutes les images d’archive de cette ville. Un bout de rocher devenu capitale marine, « Belle et rebelle » comme signature avant de passer à un plus humble « Belle et généreuse ».
Une cigarette électronique à la main, Emma s’adosse à une table de montage et me laisse admirer leur collection d’anciens caméscopes. Les rencontres sont encore ce qui nous ramène à terre. Vivre, et savourer.